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" Je me rappelle, quand la police secrète est venue arrêter mon père, ma mère était couchée, ils ont fouillé, tout retourné, vidé les placards, j’ai connu ça ! Ils étaient venus en 203, une Peugeot, et je les revois encore les deux gars, deux policiers. Elle a été obligée de subir ça, et puis de chercher où il était. C’est lui, c’est mon père, qui a réussi à faire passer une enveloppe à ma mère par l’intermédiaire d’un gardien, une enveloppe qui est finalement arrivée à la maison. Je suis allée avec ma sœur voir Maître Rode à Saint-Quentin. Cet avocat nous a conseillé d’aller au Palais de Justice histoire d’obtenir une permission pour aller voir notre père. On l’a eue cette permission. On est arrivé à la prison, il était un peu tard, ma sœur s’est pendu à la cloche, un boucan d’enfer elle faisait, le gardien arrive, il l’engueule ! elle n’était pas contente et lui qui en rajoute, Ah celui-là il sera peut-être fusillé comme les autres. Qu’est-ce qu’il n’avait pas dit là, Antoinette effondrée en larmes. On arrive au parloir, elle pleurait encore, alors papa demande ce qu’il y a, et il a engueulé le gardien, devant nous ! Il n’a rien dit le gardien, il n’a pas répondu. Et il paraît pourtant que c’était un des mieux ce gardien-là. Je crois d’ailleurs que le passage du courrier, c’était grâce à lui. Gourdon il s’appelait. "

 

(...)

 

" Pendant ce temps-là, l’usine continuait de tourner, elle tournait bien et moi aussi ! Tourneur, mécanicien, responsable du finissage, puis du matériel de toute l’usine et j’ai terminé comme ça. Je m’entendais avec tout le monde. Je passais d’un métier à l’autre pour voir si ça allait, un petit bonjour, une petite parole et parfois quand on me le demandait une petite histoire. J’ai toujours aimé raconter des histoires alors ils m’appelaient, vous n’auriez pas une petite histoire à nous raconter aujourd’hui ! "

 

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" Maman est morte en 1982, trente ans après papa. Elle était handicapée aussi, suite à plusieurs opérations des organes, elle a d’ailleurs été plus charcutée qu’opérée. Ma mère était une passionnée de lecture, oh pas des romans à deux sous, elle lisait la haute littérature ! la Comédie humaine et tous ces machins-là, elle suivait ça d’un bout à l’autre. Christiane lui en ramenait de l’usine, il y avait une bibliothèque, en plus elle avait de bons rapports avec la secrétaire alors elle en ramenait plein, elle en a ramené un nombre incalculable ! Elle fournissait maman en lecture. Malheureusement en 1975 elle a fait une hémiplégie et elle a perdu un œil, elle n’a plus su lire. Ça l’a touchée. Alors elle s’est mise à écouter la radio, les chroniques de Jacques Chancel, qu’est-ce qu’elle a pu les écouter, jusqu’à une heure du matin ! La radio marchait toujours, bon parfois elle marchait toute seule. Elle ne se levait jamais avant neuf ou dix heures. Elle me racontait plein d’histoires. Quand elle avait fini un livre, elle le reprenait au début, elle connaissait tout par cœur, c’était inimaginable, c’était sa passion, plus que mon père. Lui c’était L’humanité tous les jours, la presse. Ma mère c’était les deux, les romans et la presse. Elle l’encourageait à lire. Elle aurait tenu tête à n’importe qui, même au point de vue politique. Moi j’ai lu pas mal, mais pas la haute littérature comme elle ! J’étais moins littéraire. Quand elle ne lisait pas dans son fauteuil, c’était les deux coudes sur la table. Pour lire, rien ne l’arrêtait. Christiane lisait beaucoup aussi. En se couchant on lisait jusqu’à ce qu’on s’endorme, quand on ne s’endormait pas sur le livre. "

 

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" Le bonheur pour moi, c’est ce que j’ai vécu, la chasse, la pêche, le jardin, une voiture, la télé aux rares moments de libre. Alors qu’aujourd’hui à part quand j’ai de la visite, je suis toujours planté devant. Je m’intéresse à tout, la politique, la science, la littérature, les voyages, mais heureusement que je peux zapper et voir toutes sortes d’émissions. Ils ont montré tout à l’heure une prise de poissons géants. Tout ça, ça me distrait. L’autre fois, Ushuaia se passait dans le désert avec les pygmées, il raconte bien les choses Nicolas Hulot. Je zappe énormément, je zappe toute la journée. Je prends les choses comme elles viennent. Il ne faut pas que je m’en fasse tout un monde. Je vis au jour le jour. Comme le dit la chanson, la solitude, ça n’existe pas, mais ça existe quand même. Parfois quand je suis seul j’y pense. Mais je ne m’ennuie pas tellement. Dans des rapprochements qui ont disparu, là j’ai senti de la solitude. J’ai toujours quelque chose à faire. Par exemple s'il fait beau, je pars faire un tour en fauteuil roulant. S’il fait mauvais, je regarde la télé.  Sinon je prends le téléphone, j’appelle Catherine, ou ma nièce ou un de mes petits-enfants. Par exemple, je n’ai pas peur de la mort. Si ça arrive comme ça discrètement, ça me va. Je n’en ai pas peur d’avance. Je comprends que je devrai y passer. Je ne la cherche pas pour autant, mais je vois bien que j’ai fait mon temps, largement. Je repense toujours à la devise de mon père, va où tu veux, meurs où tu dois. Il le disait souvent, et c’est vrai. J’attends avec impatience l’arrivée de mon arrière petit-fils. Je l’ai vu hier enfin j’ai plutôt essayé de l’entendre, en collant mon oreille sur le ventre d’Audrey, mais je n’ai rien entendu. J’attends que la naissance se passe bien, qu’il n’y ait pas de problème. Après on verra. "

 

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